Les prises de position sur l’autisme dans les groupes professionnels et les catégories d’acteurs
Les prises de position sur l’autisme dans les groupes professionnels et les catégories d’acteurs
17Un premier résultat de nos enquêtes est la grande diversité de modalité de positionnement des groupes. Certains groupes professionnels sont très fragmentés dans leurs prises de position (par exemple les psychiatres). D’autres ont des positions un peu plus homogènes (par exemple les fonctionnaires locaux et territoriaux, les éducateurs), mais à distance de la binarisation par laquelle ils ne se sentent pas concernés. D’autres encore participent activement à la production de la représentation binarisée de l’espace social de l’autisme (les associations de parents, les psychologues). D’autres enfin, combattent la binarisation en essayant de construire des passerelles (certains psychiatres). Cette diversité a une conséquence que nous verrons ensuite en présentant la construction du « champ » : les positions reposent sur des alliances complexes entre fractions de groupes. Nous allons brièvement présenter des données empiriques concernant les six principaux groupes d’acteurs, que nous réutiliserons dans la section suivante.Les producteurs de discours savants
18Les discours scientifiques sur l’autisme sont internationalisés, aussi bien au niveau des recherches fondamentales que des nosographies, des classifications ou de l’épidémiologie. Parmi les producteurs de savoirs médicaux, les chercheurs en neurobiologie et en génétique assurent aujourd’hui l’essentiel de la production légitime, le plus souvent en anglais.19Les psychiatres de tradition française et les psychiatres-psychanalystes sont très attaqués (« Moyenâgeux », « pensée magique », « charlatans », « dictature féroce », « maltraitance… », « jargonneux » sont des mots appliqués par certains supporters des neurosciences aux pédopsychiatres proches de la psychanalyse). Ils sont aussi délégitimés par l’administration publique. Ils continuent néanmoins à déployer une production intellectuelle importante en terme éditorial, mais pas dans les revues « scientifiques ».20Un travail de relevé systématique dans les banques de données scientifiques et médicales montre que les chercheurs académiques ne disposent pas à l’heure actuelle d’une définition scientifique de l’autisme ni d’une connaissance de son étiologie. La médecine de preuves n’a jusqu’ici trouvé ni marqueur biologique ni produit de théorie unifiée, même s’il semble y avoir un apparent consensus sur la description globale des symptômes, qui est la « triade » suivante : un trouble envahissant du développement de l’enfant apparaissant avant l’âge de trois ans, comportant des perturbations des interactions sociales, des problèmes de communication verbale ou non verbale, des stéréotypies (comportements et gestes répétitifs) et des restrictions d’intérêt. Mais ce consensus sur l’identification n’est qu’apparent comme le montrent les tensions entre nosographies du DSM (manuel diagnostique de la psychiatrie américaine) qui propose le « TSA » (troubles du spectre autistique) et de la CIM (classification internationale des maladies) de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), attachée au « TED » (trouble envahissant du développement) (variable J), jusqu'à sa version 10. Les tensions sur l’épistémologie de la nosographie de l’autisme sont d’ailleurs les mêmes que celles qui concernent les autres troubles mal définis des fonctions supérieures de l’être humain, comme le montrent bien Massimo Marsili et ses collègues, qui exposent les problèmes épistémologiques rencontrés par les classifications (Marsili et al., 2011).21Un consensus pourrait porter sur la nature de l’autisme, qui serait un dysfonctionnement biologique d’origine génétique et congénitale affectant d’abord le système nerveux central et son développement. Mais ce consensus n’est, lui aussi, qu’apparent car articulé à une étiologie trop incertaine. Les textes médicaux ne fournissent en effet pas de consensus sur l’étiologie de l’affection autisme. Au-delà de l’affirmation vague d’une multifactorialité, on ne dispose pas aujourd’hui de savoir prouvé sur l’étiologie de ce trouble du développement du cerveau : accident génétique ? Problème de plasma sanguin ? De flore intestinale ? Forme extrême du cerveau masculin ? Accumulation d’eau ? Cause épigénétique ? Liée à une série de changements dans la méthylation de l’ADN du sperme du père ? Causes environnementales ? Pollution, pesticides, agents infectieux, métaux lourds, vaccins ?22Les textes médicaux ne sont pas non plus en consensus sur le pronostic : inguérissable ou guérissable, améliorable ou compensable. Certains décrivent le pronostic comme particulièrement incertain à cause de la diversité des autismes.23Même en s’en tenant à la fraction légitime aujourd’hui des textes savants, donc en excluant la tradition psychodynamique, il n’y a pas de consensus non plus sur les méthodes de prise en charge-accompagnement adaptées (variable F). Celles-ci sont d’une grande diversité. Pour un tableau, sans doute exhaustif en 2006, il faut consulter le travail de l’équipe d’Amaria Baghdali (2007). L’invention de nouvelles méthodes d’accompagnement est continue : « apports en créatine », « stimulation magnétique transuranienne », « apport en macrobiotiques », etc. Les méthodes de thérapie comportementaliste les plus mises en avant par certaines associations de parents donnent lieu à des évaluations scientifiques et médico-économiques mitigées. Les approches psychodynamiques quant à elles sont le plus souvent considérées comme se soustrayant aux méthodes d’évaluation propres à la médecine des preuves.24Enfin on n’observe pas non plus de consensus sur l’épidémiologie ni sur la prévalence.pport canadien 10 (informations sur le taux de prévalence des troubles envahissants du développement en 2014). Cette augmentation s’expliquerait en partie par l’évolution des critères de diagnostic et une amélioration de la formation des professionnels au dépistage de l’autisme, mais au-delà de ces explications, il semble bien qu’il y ait une augmentation réelle de la prévalence depuis des décennies sans que l’on sache pour quelle(s) raison(s) » 11.
25Cette augmentation « réelle » est contestée par d’autres chercheurs qui y voient seulement un artefact produit par le passage du TED au TSA et les modifications de la pratique du diagnostic.
26Enfin si certains chercheurs affirment que le seul facteur discriminant est le sexe (seul point de consensus), mais pas l’origine sociale, des recherches récentes aux États-Unis montrent une corrélation positive de la prévalence avec l’appartenance à la « communauté blanche », sans cependant pouvoir l’expliquer. Mais d’autres ont des résultats divergents et trouvent par exemple une prévalence plus élevée chez les enfants de migrants.
27En conclusion, l’espace des discours scientifiques, même en le réduisant aux chercheurs en position dominante, est traversé de controverses et d’incertitudes.
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